Tango du Couteau et de l'Honneur
Les trois sortes de compadres étaient incarnées par trois types reconnaissables au premier coup d'œil. Le Compadrón, sûr de lui, la tête haute et d’une arrogance de matamore ; le compadrito avec ses airs de candombé et ses rêves d’être un jour le poids lourd du quartier ; et le compadre tout court, mélange charitable des deux autres.
L’immigration européenne massive, surtout espagnole et italienne, va apporter des musiques, des mélodies, des rythmes qui vont rencontrer un phénomène rioplatense récent, la milonga.
La milonga se diffuse dès le milieu du XIXe siècle dans les faubourgs de Buenos Aires. Mélangeant le rythme musical afro-uruguayen candombe que chantent les esclaves noirs africains et la habanera cubaine, la milonga est à la fois chant et danse populaires aux accents parfois mélancoliques mais malgré tout entraînants, profonds et animés.
Chaque pas révèle et dénoue dans le même temps les drames de la pauvreté, du pays éloigné, du désir inassouvi. Elle permet aux hommes venus chercher fortune, très nombreux pour un nombre de femmes très limité, de se mettre en concurrence.
Rareté des femmes
En 1900, 70 % de la population de la capitale argentine est masculine, en quête des richesses d’un monde nouveau. Du fait de la rareté des femmes, elle se danse essentiellement entre hommes.
Certains ont fui leur pays, la plupart sont prêts, si ce n’est à tout, du moins à beaucoup. Peu à peu le tango acquiert ses formes, ses signes, ses lieux. Les bordels, les bars du port sont les lieux réputés mal famés, où l’on danse le plus, où la guitare et la flûte se frôlent avant que ne s’impose ce qui deviendra l’instrument du tango : le bandonéon.
Y briller dans la danse, permettait des rapports moins mercantiles et plus agréables, avec les femmes qui y travaillaient. Ceci impliquait une préparation, un entrainement. En outre, dans ces lieux, et la tradition perdure aujourd'hui, le client un peu fauché pouvait simplement ... danser. Moyennant le fait de laisser un peu d'argent au bar, il pouvait, à défaut de mieux, avoir une femme quelques instants dans les bras.
S'entraîner entre hommes
Le désir de briller devant les femmes, et d'être admis dans certains milieux où la place de la danse était prépondérante, étaient des motivations suffisantes pour que les hommes entre eux, se préparent, apprennent, inventent des figures, d'autant que les femmes "honnêtes", enfermées à la maison ne pouvaient les aider dans cette recherche et apprentissage.
En Argentine, le manque de femmes, lié à une immigration majoritairement masculine, à exacerbé ce phénomène. (Même si la notion de manque de femme ne prenait souvent pas en compte les nombreuses noires affranchies et indiennes vivant à Buenos Aires, ce qui relativiserait le déséquilibre hommes/femmes).
Dans les années 30 et plus, les mauvais danseurs n'étaient pas acceptés dans les Milongas, et s'ils parvenaient à y entrer, ils ne dansaient pas, les femmes n'acceptant pas leurs invitations. Il fallait être "bon". Comment s'entraîner ? Les jeunes femmes étaient très tenues et surveillées, et ne pouvaient sortir de leur maison qu'accompagnées de leur mère, tante ou autre membre de la famille. Pas question donc de s'entraîner avec elles. Ne restaient que les copains.
Le Tango ne s'est jamais dansé entre hommes, mais il était courant que les hommes pratiquent entre eux, pour briller ensuite, en dansant avec les femmes.